[Talah/Menwë] Il était une amitié...

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Les lunes étaient hautes dans le ciel, et les deux ombres se mouvaient avec grâce dans l’obscurité. Les buissons de la bordure du village frémirent à peine lorsque la jeune femme émergea pour se précipiter sans un bruit dans une des demeures paisibles et sans lumière.
Elle monta les escaliers, prenant garde à ne pas réveiller ses hôtes, puis elle referma derrière elle la porte de sa chambre. Avec un gloussement joyeux, elle s’accroupit et passa affectueusement ses bras autour de l’encolure du félin qui l’accompagnait fidèlement depuis maintenant plusieurs jours.
« T’as vu ça, Fifi ? On est les meilleures ! »
Elle dû étouffer son rire satisfait dans la fourrure de sa compagne, laquelle ronronnait avec satisfaction. Voila maintenant près d’une semaine qu’elles s’étaient trouvées et liées. Certains pensent que le domptage des chasseurs est une forme d’agression à la Nature et aux cadeaux d’Elune. Ceux qui avaient vu FièreLune et Talah ensemble savaient qu’il n’en était rien : impossible de dire laquelle des deux avait dompté l’autre…
Quoique, pour l’heure, peu d’habitants du village auraient osé adosser l’adjectif « domptée » à la personne de Talah. Cette nuit encore, Talah était partie chasser avec sa compagne, pour éprouver la liberté de la course, la joie de la nuit, la complicité de sa féline amie. Cette nuit encore, elle avait désobéit au couvre-feu.
Pourquoi ne voulaient-ils pas comprendre ? La chasse était tellement nouvelle, et si … intense ! Pourquoi la priver de sa seule joie alors que tous, dans ce village, tiraient des têtes de trois pieds de long, tremblants de tous leurs membres dans l’attente d’une attaque qui ne viendrait pas ? C’était d’un déprimant !...
Avec un soupire, l’elfe ôta ses bottes et s’allongea paisiblement.

Le matin arriva sur les cris horrifiés de sa logeuse.
« Où est-elle ? Où est cette folle ? »
Hein ?

« Talah, descend toute de suite ! »
La jeune elfe s’exécuta en soupirant. En bas, une femme imposante pour une elfe de nuit, les mains sur les hanches, la fixait à travers la lueur des lucioles qui à elles seules déterminaient le passage du temps : leur nombre croissant indiquait le jour.

« Bonjour, Tanyl. Comment ca va ? »
L’autre en face sembla s’étouffer d’indignation. Sans comprendre, Talah choisit de ne pas se formaliser des vociférations de cette vieille folle : c’était bien connu, elle radotait. Elle entreprit de commencer à déjeuner : tant qu’à être réveillée, autant le faire correctement !

« Comment ca va ?! Tu OSES me demander comment MOI je vais, alors que ma fille n’est plus là par TA faute ?! »

Talah sursauta et la regarda d’un air sincèrement surpris.
« Menwë n’est pas là ? »
Tanyl la fixa d’un air dubitatif.
« Tu ne le savais pas ?
- Bien sûr que non, comment l’aurais-je su ? Je viens de me lever.
- Mais… Vous êtes toujours ensemble, d’habitude… et Meryn t’a vu rentrer tard cette nuit. »
La jeune chasseresse dédia silencieusement une malédiction de son cru à son cousin.
« Je suis rentrée tard, c’est vrai. J’étais allé chasser avec FièreLune. » Entendant son nom, le félin couleur de neige s’avança. Tanyl ne pu réprimer un mouvement de recul : les félins blancs n’étaient pas dans les traditions du village, et FièreLune choquait encore beaucoup dans la région ; il est vrai qu’elle venait de loin, des montagnes du Dun Morogh… chez les nains.
« Mais je te promets que Menwë n’était pas avec moi. Pourquoi dis-tu qu’elle a disparu ? Elle n’est plus une enfant, elle peut très bien aller se promener si ça lui chante non ?
- Espèce d’effrontée ! Menwë savait, elle, que c’était l’anniversaire de sa maman adorée ! Elle n’aurait pas raté ça, elle ne l’a jamais fait, par les larmes d’Elune ! Où est-elle alors ? Où est ma fille ?
- Calme toi, Tanyl. Nous allons la chercher, c’est promis. C’est ma meilleure amie, je la connais, et je la trouverai ne t’inquiète pas. »

Fourrant une tartine dans sa bouche, un morceau de jambon dans sa besace, elle sortit sans laisser le temps à la vieille femme de répliquer.
Une fois sous le couvert de la forêt, Talah pris le temps de s’asseoir pour réfléchir à ce qu’elle venait d’apprendre, tout en tendant le jambon que sa compagne mordilla avec gourmandise et élégance.
Menwë, disparue ? Allons bon… Son amie druide était tout sauf intrépide, et elle ne serait jamais partie à l’aventure. Pas sans lui en parler.
Où donc était-elle ?
Talah jeta un œil aux deux lunes et constata qu’effectivement, la journée était bien avancée. Fronçant les sourcils d’un air contrarié, elle s’enfonça dans les fourrés en direction de leur cache favorite.
Elle sentit l’aiguillon de la culpabilité lorsqu’elle vit la poussière sur le seuil de leur cachette : près d’une semaine qu’elles n’étaient pas venues ensemble ici… par sa faute. Elle s’en rendait compte maintenant : depuis qu’elle était avec FièreLune, Talah avait passé très peu de temps avec Menwë et elle su que, même si elle l’avait voulu, la jeune druide n’aurait pas pu lui parler de sa promenade.
La poussière indiquait que personne n’était venu ici depuis quelques temps : Menwë n’était pas ici.
Pestant de son échec, Talah repartit dans la forêt, en direction de leur coin de pêche.

Une heure plus tard, elle déboucha sur une clairière où filtrait une douce lumière lunaire, bercée par les chants des insectes et des oiseaux, autrefois paisible mais aujourd’hui rendue dangereuse par la perversion des animaux qui la gardaient. Se laissant imprégner par le calme avec la même joie qu’à chacun de ses passages, elle observa les berges.
Un grondement étrange attira son attention : FièreLune avait trouvé quelque chose… L’amulette. Non… Menwë, n’aurait pas abandonné ainsi l’amulette qui sacralisait sa vocation.
Serrant l’amulette avec force, sans croire à ce qu’elle était obligée de constater, elle vit au sol des traces de lutte et la chaîne brisée qui avait tenu l’amulette.
La chasseresse s’enfonça sans hésiter dans les fourrés à la suite des traces, courrant sans souffler, le temps s’écoulant avec une lenteur hypnotisante alors que se renforçaient son inquiétude et sa culpabilité.

« Menwë ! »

Elle était là, étendue, à moitié nue sous les fripes déchirées qui figuraient vaguement ce qu’avait pu être sa robe druidique. Des dizaines de blessures et d’éraflures rougissaient son corps ; ses longs cheveux mauves étendus autour de son visage meurtri et inconscient.
Talah se lassa tomber au sol, à genoux, à côté de la druide. Paniquée, elle chercha des signes de vie.
Un soupire soulagé lui échappa lorsqu’elle nota le pouls, très faible, de la jeune femme étendue.

« Dépêchons-nous, FièreLune… Le temps presse… »

Les muscles tendus sous l’effort, l’elfe porta sa meilleure amie durant les deux heures que durèrent le retour, son courage exacerbé par l’intense culpabilité qui lui faisait venir les larmes aux yeux.
« S’il-te-plaît, reste en vie, s’il-te-plaît… » Sa voix n’était plus qu’un murmure essoufflé et entrecoupé de sanglots qu’elle sentait coincés dans sa gorge.
« Me laisse pas… »

Elle soupira.
Cinq. Elle avait compté les jours durant lesquels elle avait attendu en vain d’être invitée aux promenades de ce couple peu ordinaire. Mais avait-elle le droit de s’imposer dans cette nouvelle symbiose ?
Nouveau soupire.
Elle ne s’était jamais sentie aussi seule… Meryn avait beau tenter de plaisanter et de la dérider, elle sentait bien que leurs escapades féminines ne pouvaient être remplacées.
Elle aimait bien Meryn, mais pas autant qu’il le souhaitait. C’était le cousin de Talah, ils étaient arrivés ensemble au village lorsqu’ils avaient perdu leurs familles, la même nuit. Menwë n’avait jamais su comment : Meryn, avec son caractère grave et responsable, ne voulait pas en entendre parler ; Talah, cachant sa douleur derrière un masque de clown, ne laissait jamais d’ouverture pour aborder le sujet.
Talah… Elle songea à quel point les gens se méprenaient sur son compte : personne mieux qu’elle ne pouvait comprendre la menace de la perversion de Teldrassil. Personne mieux qu’elle ne connaissait la douleur du deuil. Personne n’était aussi fort qu’elle : jour après jour, elle montrait à chacun un visage plein de gaieté et de joie de vivre si sincère qu’ils la prenaient tous pour une écervelée.
Mais elle ne l’était pas, ça non ! Menwë admirait Talah, mais elle ne l’aurait avoué pour rien au monde. Cela dit, nul n’osait la critiquer devant elle, tant sa fougue à la défendre était impressionnante venant d’une jeune druide aussi calme.
Pourtant, aujourd’hui, elle venait à douter. Et si Talah n’avait plus besoin d’elle ? Et si elle l’oubliait ? Que deviendrait la jeune druidesse effacée que personne n’écoutait ? Que deviendrait-elle, elle, Menwë fille de Tanyl et Kaeldron ?

Elle avait besoin de prendre l’air.
Pour la première fois en plusieurs jours, elle s’enfonça dans la forêt. Pas en direction de leur sanctuaire : elle n’aurait pas aimé y être toute seule. Elle choisit plutôt le lieu de pêche, pour son calme et sa beauté. Peut-être y trouverait-elle à nouveau la paix.
Là, dans la beauté bleue et verte de l’eau sous les lunes, elle sourit : la druidesse en elle ne pouvait qu’admirer la profondeur du lien qui unissait Talah à sa compagne. La Nature les avait bénis. Un brin d’amertume la piqua en songeant qu’elle était exclue de ce lien.
Doucement, chantant tout bas, elle fit appel à la puissance de la terre : voila le don qui était le sien. L’osmose était si totale que le plaisir en était presque charnel… Oubliant de chanter, Menwë se perdit dans sa transe au point de se couper du monde extérieur.
C’est peut-être pour cela qu’elle n’entendit pas venir le coup de gourdin qui l’étourdit si brusquement. Les oreilles sonnant comme les cymbales d’un mariage, Menwë tenta de se redresser et de lever son propre bâton pour se défendre. Mais déjà, d’énormes mains griffues l’agressaient et la blessaient sur toute la surface de son corps, les coups pleuvant de toutes parts… Sanglotant, elle se sentit glisser au sol, sans force, impuissante, groguie et douloureuse. Les attaques s’arrêtèrent d’elles-mêmes lorsqu’elle sombra dans l’inconscience et cessa de gémir. Ses assaillants la transportèrent de l’ombre des fourrés et la livrèrent à la nuit, avant de disparaître de leur pas lourd et cadencé.

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Talah ferma les yeux. Dans l’ombre de cet arbre, elle pouvait enfin laisser s’exprimer son soulagement. Les larmes contenues depuis plusieurs semaines s’écoulèrent avec autant de violence qu’elle avait eu de détermination à les cacher.
Menwë était sauvée. Le cauchemar était fini… enfin.
Elle pouvait maintenant songer calmement à la raison de tout ceci…et à sa culpabilité. Car après tout, elle savait que c’était de sa faute. Malgré les grands sourires rassurants dont elle affligeait sa meilleure amie, elle ne pouvait pas se mentir : elle avait mis Menwë en danger par sa stupide négligence.
Cette perte avait réveillé la douleur haïe de ses souvenirs, celle de la perte des siens, celle de son errance aux côtés de Meryn. Ce jour-là, elle n’avait pas pu non plus sauver ses parents et son frère. Bien qu’elle fût à l’époque trop jeune pour être utile, elle aurait voulu pouvoir partir et se battre à leur côté…
Les savoirs morts au loin, sur Hyjal, lui était toujours aussi insupportable.
Alors elle avait fuit. Comme elle avait fuit le village après avoir ramené Menwë, inconsciente, et subit les hurlements hystériques de Tanyl.
C’était cette fuite, par le passé, qui l’avait amené ici. Mais où irait-elle, aujourd’hui, si elle avait perdu Menwë ?
Elle n’avait pas voulu croire à la menace… Non, ce n’était pas vrai : elle avait sciemment ignoré la menace, car elle ne pouvait pas concevoir qu’un drame se reproduise dans sa vie. Pourtant, les furbolgs étaient là, fous, et avaient attaqué la druide. Jolie chasseresse que voilà ! Incapable de veiller sur une personne, et ça veut combattre la Légion !
D’un reniflement méprisant, elle interrompit ses réflexions en entendant des pas derrière elle.
Elle essuya précipitamment les quelques larmes qui restaient, et se leva lentement. Elle savait qu’il ne s’agissait pas d’une menace, sinon FièreLune aurait déjà bondit.

« Menwë…Tu ne devrais pas encore sortir, tu viens à peine de te remettre. Comment ça va ? »

La druide semblait encore plus frêle qu’avant, mais son sourire digne et calme rendait Talah humble : que de force et de sérénité. Elle lui enviait cette maturité qui lui ferait à jamais défaut.

« Ne t’inquiète pas. J’ai pris garde d’appeler la Terre avant de sortir. Moi non plus, je ne suis pas seule. » Elle sourit tristement en disant cela. Elles étaient toutes les deux conscientes du mensonge silencieux et de ce qui les avait séparées.
Inspirant pour se donner du courage, Talah rompit le malaise.
« On va à la cache ? Il serait temps d’y faire le ménage et de laisser Fifi y faire ses quartiers. »
Menwë accepta en riant.

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La journée était passée comme un rêve : les deux amies avaient retrouvé la complicité d’avant, et FièreLune, en invitée d’honneur digne de ce nom, avait requis toute leur attention à force de cajoleries et de jeux.
Elles rentrèrent au village la tête pleine de rire et n’entendirent pas FièreLune gronder doucement tandis qu’elles approchaient. Au bout de quelques mètres, le fauve mordilla la main de Talah pour la distraire de sa discussion.

« Qu’est-ce qu’il y a ? Tu as faim ? On est bientôt arrivées, tu peux attendre un peu, non ? Gourmande ! » Elle partit d’un éclat de rire avant de se tourner vers le village.

Son rire s’éteint brusquement. De hautes colonnes de fumées s’élevaient des chaumières : elles ne pouvaient que les deviner, mais on pouvait imaginer les maisons éventrées qui gisaient sous ces brouillards.
Menwë eut un hoquet d’horreur.

« Maman… Meryn ! »
Elle se mit à courir mais Talah la rattrapa et l’arrêta brutalement.
« N’y va pas. »
A leur côté, FièreLune grondait maintenant d’un air menaçant, la fourrure hérissée.
« Qui que ce soit qui ait attaqué le village, ils sont encore là, Menwë… Nous ne pouvons rien faire ! »
Menwë fixa Talah avec un mélange de stupeur et d’indignation. Puis elle comprit, et sa colère se mua en compassion : Talah voulait se battre, elle souffrait de sa faiblesse et elle voulait sauver leurs vies ; elle souffrait en silence de la perte presque certaine de son cousin et de Tanyl, de son village d’adoption… comme par le passé. Ses lèvres étaient tiraillées par ses mordillements nerveux, seuls témoignages du trouble de Talah.
Impuissante, terrorisée, Menwë s’effondra. Stoïque, Talah la regarda pleurer, le regard lointain, les lèvres en sang. Soudain, elle prix Menwë par la main et la força à se lever.
« Viens. »

Avec autorité, elle les mena à travers la forêt vers le village le plus proche. Là bas, à Sombrevallon, elle demanderait de l’aide et elle reviendrait vite sauver leur village. Là bas, ils prendraient soin de Menwë, encore convalescente. Là-bas, elle se le jura, elle deviendrait assez forte pour ne plus jamais fuir.

La flèche se planta dans la poitrine de l'orc, qui s'effondra dans un grognement écoeurant.
Un feulement méprisant salua sa mort, tandis que l'ombre blanche se faufila pour revenir aux côtés de l'elfe.

Sa grande silhouette élancée, hérissées des reliefs de son armure, se tenait comme toujours, solitaire, sur le haut de la colline, surplombant le lieu de bataille avec calme, visant et tirant avec précision, secondée par les frappes sans failles de sa fidèle compagne, FièreLune.

Voila maintenant des années qu'elle arpentait ainsi, seule, les terres d'Azeroth. Elle avait tenu sa promesse... Elle n'avait pas fuit, et elle avait grandit.

Les sourcils froncés, elle avisa un nouvel orc qui fondait déjà sur elle, et le tua sans la moindre hésitation.

Oui. Elle était devenue une tueuse. Une moue plissa ses lèvres, une moue que personne jamais ne verrait sur son visage... l'amertume, le regret...
Comme à chaque fois qu'elle se battait, elle songea à la raison de sa présence ici.
Pourquoi faisait-elle ça? Ah... oui... Pour sauver celle qui avait été sa meilleure amie... Celle qui, pour les aider, avait affronté le Rêve d'Emeraude... et y était restée enfermée depuis.

Je ne t'ai pas abandonnée, Menwë... Je ne t'ai pas abandonnée...

Pourtant, dans son coeur, l'espoir n'était plus qu'un vague souvenir. Comment réussirait-elle jamais, elle, à ramener une druide enfermée depuis des années dans le Rêve d'Emeraude? Alors qu'aucun sage de Teldrassil n'y était parvenu?

Tu n'es qu'une chasseresse, pauvre imbécile... Tu n'est que Talah. Talah Ciryathan, fille de deux héros, fuyarde et tueuse.

Les orcs arrivent en masse maintenant, elle dégaine ses lames, le regard aussi froid que leur fil, plein d'une allegresse presque sauvage. Tuer... Tuer pour oublier. A ses côtés, le félin blanc tâcheté s'élance, frappant, tuant, griffant, mordant avec férocité.

...

La bataille s'est tue. Encore une victoire. Encore des morts.
L'armure souillée du sang de ses victimes, le visage baigné de larmes salées et pourpres. Encore des regrets...

"Ce n'est pas la guerre qui a fait de toi ce que tu es, chasseresse... C'est toi qui t'es infligé cela, en chassant un rêve qui n'existe pas.
Il n'existe pas de remède que tu puisses obtenir en tuant... Aucun.

Par contre... le don de soi peut faire des miracles... le don..."

Voila les paroles de ce vieux fou. Vieil hermite imbécile... Peut-être simplement un vieux druide plein de sagesse.
Peut-être devrait-elle l'écouter... et apprendre à donner autre chose que la mort.

Les larmes étaient taries, la bataille finie. Il était temps de repartir en chasse.
En chasse d'elle-même...

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Talah observa en silence ses compagnons réunis.
Ses compagnons... ce mot la fit sourire, éblouie par ce qu'il signifiait, le coeur explosant d'affection et de reconnaissance.

Malgré les difficultés, malgré ses silences, malgré ses sautes d'humeur et ses lubies... ils étaient tout de même là. Ils étaient avec elle. Elle était avec eux.

Elle eut un sourire affectueux pour Menwë. La druide lui fit un petit signe de la main, enthousiaste.

Elle avait réussi. Elle l'avait fait, le don... le don d'elle-même.
Mieux encore... elle avait réussi à garder ce don secret. Son sourire se fait plus doux, effleurant chacun des présents.
Cadohan... Gilgamech... Mordecaï... Alunna... Ravelle...Likwalia... Nazshala...Tétis...Menwë... et tant et tant d'autres... Tant d'autres qui faisaient gonfler son coeur de fierté.

Elle avait réussi.
Elle pencha légèrement la tête, masquant ses yeux dans l'ombre de ses paupières.
Elle se redressa vivement, d'un pas dansant, répondant à une blague et distribuant rires et baisers à ses amis, avant de sortir comme une tornade. Comme à son habitude. Comme celle qu'elle jouait à être depuis tant de temps.

Dehors, sa belle Milraeth l'attendait. D'un doux grondement, l'énorme tigre salua sa compagne et FiereLune qui l'accompagnait comme son ombre. Talah passa devant elle et continua sa route sans s'arrêter, au pas de course.

Loin, plus loin... Là où personne ne pourrai voir. Savoir.
Utilisant un tour que lui avait appris Menwë, elle se dissimula aux regards et, enfin, s'arrêta.
Les larmes débordèrent, trop longtemps contenue. De sa sacoche, elle sortit une petite gemme étrange, bleue comme une nuit sans étoile, avec une lune unique qui brillait en son sein. La lune était presque pleine.
Talah fixa la gemme avec un sourire baigné de larmes.

Elle avait réussi...Chaque instant de sa vie, depuis ce jour-là, elle l'avait consacré à trouver le don qui sauverait Menwë. Elle avait payé, acheté, volé, offert, prié.
Et elle avait trouvé.

Le don... le don de soi.

Elle observa d'un air fasciné la lune qui luisait intensément dans la gemme, passant un doigt dessus en frémissant.

"Lorsque la lune sera pleine, il sera temps."

Oh comme elle avait prié! Prié pour que la lune cesse de grandir, de croître.
Ils avaient réussi à sortir Menwë, grâce à une volonté suffisamment forte pour canaliser leurs esprits.
Ils avaient réussi à sauver Menwë en lui volant sa vie, année par année... ne lui laissant que cette gemme de lune.

"Lorsque la lune sera pleine, il sera temps."

Il sera temps...

Mais elle avait eu peur. Peur de n'être à jamais qu'une gemme de lune... De voir sa vie réduite à ce caillou... Ca, elle ne le voulait pas. Elle ne voulait pas croire que son existance puisse se limiter à ce sacrifice.

Alors, elle était devenu La Muse. C'est à ce moment là que la jeune femme avait choisit d'endosser ce rôle, de donner aux autres son temps et son énergie, pour s'assurer de demeurer à jamais dans leurs mémoires.
Non, ce n'était pas par altruisme qu'elle l'avait fait. C'était par peur...
Qu'y a-t-il de pire, pour un être qui a connu l'éternité... qu'y a-t-il de pire que le néant, l'absence de tout... l'effacement... l'oubli?

Elle avait voulu briller pour que cette gemme de lune luise à jamais quelque part au chaud dans le coeur de ceux qu'elle appelait aujourd'hui amis.

Quelque chose bougea derrière elle, elle lacha précipitamment la pierre en se retournant, surprise, les larmes brouillant sa vue...

Son hurlement déchira la nuit. Puis ce fut le silence.